09 - Pitcheetoy

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Figaro 18 décembre 1888

LA BOUTIQUE A TREIZE

Les terrains vagues de Montmartre, où le peuple forain a les coulisses de sa vie nomade, sont en rumeur depuis une quinzaine. On profite des loisirs que la manifestation Baudin, jointe à la malveillance des bourgeois, ont faits aux marchands camelots et autres "teneurs d'Assemblées" afin de donner un petit coup d'oeil aux baraques en planches, qui, chaque année, descendent de la colline, pour venir, du château-d'Eau à la Madeleine, border le trottoir boulevardier.
L'article à "treize" est bon enfant. Il s'accommode du frimas et du soleil, de la poussière et de la pluie. Ceux qui voyagent affirment qu'on le retrouve identique - ni plus ni moins défraîchi - alternant dans la banlieue de Constantinople avec les bazars de tapis d'Orient. Et nous savons que les grands navires qui arrivent des mers asiatiques, chargés jusqu'à la ligne de flottaison de porcelaines d'Imarï, de bronzes japonais, de voiles indiens, de perses rares, retournent vers le berceau du soleil, lestés de camelote parisienne, trompettes, fusils, porte-monnaie, porte-bonheur, montres à un sou, chevaux de bois, lapins blancs batteurs de tambours...
J'ai voulu voir où étaient les clapiers, les haras, les horlogeries, les forges d'où sortait toute cette "bimbeloterie". Et j'ai la joie de vous rapporter un mot d'espérance de cette visite aux petites industries parisiennes : le jouet allemand, l'article de Berlin est en baisse . Le bimbelotier parisien, qui s'était endormi dans la conviction de sa supériorité native, a profité de la rude leçon que lui a donnée la concurrence. Il s'est mis en nouveaux frais d'ingéniosité et de goût. Il a renouvelé son personnel et son outillage. Et si vous souhaitez vous rendre compte de cette industrie si française, allez visiter, comme j'ai fait, rue d'Hauteville, le petit musée que les quatre-vingts gros bonnets de la bimbeloterie parisienne ont fondé il y a déjà cinq ans, sous ce titre : Union des fabricants de jouets et d'articles de Paris.
On vous montrera les médailles que la Société a remportées à l'Exposition d'Anvers, on vous fera voir la copie d'une belle lettre de ministre approuvant "le but et la bonne organisation de ce comptoir d'échantillons". Mieux encore, on vous exhibera dans les vitrines tous les modèles du jouet français. Et quand vous aurez fait le tour de ce petit musée, je suis sûr que vous direz comme son directeur :
- Les allemands n'ont qu'à bien se tenir !

Personne n'a jamais douté qu'on battrait Berlin sur le terrain du jouet élégant, du jouet truqué, du jouet riche. Mais l'on avait bonne raison de craindre que Paris ne perdît l'approvisionnement de la "boutique à treize", que la nouvelle génération de bébés soufflât la charge dans des trompettes allemandes, portât les armes avec des fusils allemands et mît au clair des lattes germaniques.
Eh bien ! rassurez-vous, parrains patriotes, qui, dans la crainte d'encourager la concurrence étrangère, vous absteniez stoïquement, depuis des années, de gâter vos filleuls. C'est le Marais, le vieux Marais parisien, qui va fournir cette fois le brillant étalage de la boutique à treize.
J'ai monté cette semaine les escaliers spacieux de ses antiques hôtels pour aller surveiller le travail du bimbelotier qui a installé sa forge dans les vieux boudoirs dédorés des marquises.
Entre les pilastres corinthiens qui portent la voûte s'élancent au plafond, pareilles à ces belles architectures que l'on admire dans les boutiques des épiciers, d'étranges colonnes métalliques. On se dit :
- Je me serai trompé d'adresse. Je suis tombé chez un marchand de conserves...
Et l'on se fait répéter deux fois que c'est bien ici que loge le tambourinier, avant de risquer l'ascension de l'escalier monumental.
Là-haut, ils sont une vingtaine d'ouvriers qui travaillent, jour et nuit, depuis un mois. Il y en a qui taillent à la cisaille des fûts de tambour dans des feuilles de fer blanc. Il y en a qui soudent ces fûts à la lampe ; il y en a qui les mettent en couleur "à la colle" ; il y en a qui les vernissent "à l'esprit"
Les bois des cercles arrivent d'un bout de la France, des scieries de Villers-Cotterets ; les baguettes viennent d'un autre coin de pays : de Liesse. Le parchemin est envoyé, taillé d'avance par un troisième fabricant. Et je n'étonnerai pas médiocrement nos contemporains en leur apprenant qu'il n'entre pas un décimètre de peau d'âne dans la fabrication annuelle des cinq cent mille grosses et petites caisses du royaume ; - encore un abus de confiance, la légende de la pauvre bourrique sur qui l'homme continue de taper après sa mort ! Ce sont la chèvre et le mouton qui paient tous les frais de nos musiques.
C'est en l'hôtel du duc de Berry que l'on fabrique la "trompette à treize", à "treize" ou à "neuf", car le treize se vend neuf sous quand il est tombé "dans la débine". Entendez quand il est revenu de Constantinople par trop fané.
Avouez qu'à des professions spéciales il y a des noms prédestinés. L'homme qui met annuellement six cent mille trompettes à la main de nos garçonnets, le grand fabricant "d'équipements militaires", de chez qui sortent toutes les panoplies de chasseurs à pied et à cheval, de jockeys et de sapeurs, tous les fusils, tous les képis et tous les sabres, s'appelle M. Chauvin.
De la cave au grenier de son hôtel, il occupe un monde d'ouvriers. Il lui faut des coupeurs, des polisseurs, des rouleurs, des ciseleurs, des ébénistes, des étameurs, et des forgerons. Il a créé le sabre à deux francs la douzaine, et la trompette à treize avec cône, pavillon, anse, embouchure en cuivre, pipet à lame et robe de laine. Des jurys d'exposition lui ont octroyé des médailles, je voudrais lui voir décerner quelque récompense civique, couronne ou laurier, parce que ce provocateur de l'instinct militaire a bien mérité de la patrie.
De même, quand on encourage par des primes et des comices l'élevage du cheval de guerre, est-il juste d'ignorer jusqu'au nom de l'artiste gardien des canons antiques, immobiles, hiératiques, qui perpétue parmi nous la sculpturale lignée des chevaux de bois dont les origines semblent remonter jusqu'au cheval de Troie, en passant par la tapisserie de Bayeux ?
Quand M. Jacques, m'a dit la compagne de cet animalier, est sorti d'apprentissage, en 1848, le cheval se faisait déjà en sept morceaux ajustés par des tenants et des mortaises, à savoir : quatre pattes, un ventre, un corps et un cou portant la tête. Le cheval était déjà rouge à crins noirs. La planchette qui le porte était déjà peinte en vert, avec des filets groseille. Le cheval avait déjà des naseaux flamboyants et des basanes blanches. Il ne se manifestait déjà que sous deux formes : au pas et au galop, les jambes droites, et les jambes en arc.
Dans cent ans, d'ici il en sera de même.
M. Jacques répète souvent qu'on ne peut perfectionner la perfection ! Les carrousels tournent, le cheval de bois est immobile.

C'est comme le lapin.
Dans la "nuance" de tout, nos esprits aiment à s'arrêter sur ces deux objets qui ne changent point : le cheval de bois et le lapin qui bat du tambour.
Et lui aussi il a son hôtel, de lapin, du côté de l'Arsenal, au bord de l'eau. Pour le vêtir, on fait venir à grands frais des lièvres de Russie et des lapins de Pologne. Des mains habiles de jeunes filles lui taillent un chaud manteau dans toute cette fourrure. Il n'est pas bien exigeant, un douzième de peau de lièvre russe suffit pour sont paletot et ses oreilles. Tandis qu'on le vêt d'hermine, qu'on lui cloue des yeux d'émail et qu'on le rase, les "débiteurs", dans une pièce voisine, fabriquent la petite boîte de papier doré qui lui servira de char triomphal. Depuis que le monde est monde, ce char roule sur des déchets d'huiliers ; le lapin n'a fait qu'une concession un peu sérieuse au goût du siècle : vers 1855, il a changé son tambour pour un timbre.
C'est à la même époque que parut, sur le boulevard, un camelot nommé Herbaut, qui vendait au coin du faubourg du Temple la "montre-bijou, la montre qui marque l'heure, neuf sous, avec l'aiguille et la chaîne !".
Ce fut une révolution dans la bimbeloterie parisienne. A force de "faire culbuter" sa montre - en argot de forain, cela signifie vendre un objet le double de ce qu'on l'a payé - Herbaut gagna cinq ou six mille livres de rentes qu'il achève de manger tout doucement, en propriétaire, dans un faubourg de Paris ; mais la "Montre-Quinche" était lancée.
Depuis lors, c'est par millions que les camelots l'ont vendue sur la surface du globe. En de progressifs embellissements, elle a paru sous les noms successifs de montre à clef, montre à sonnerie, montre à minuterie, montre à remontoir, montre porte-or ; mais sa forme vraiment populaire c'est l'article à trois francs soixante la "grosse" (soixante-douze sous les cent quarante-quatre) qui est bâti avec un clou et une crémaillère). Et il faut croire qu'il se vend des milliers de ces grosses-là, si j'en juge par la superbe robe de peluche et de soie de la très belle dame qui m'a fait suivre la fabrication de cette montre-camelote, à travers vingt-huit mains d'apprentis et de bimbelotiers.
J'ai interrogé ma gracieuse conductrice sur les nouveaux perfectionnements de la montre à un sou, et elle m'a répondu par cet avis charitable que je vous communique pour rien :
- Méfiez-vous, mon cher Monsieur, si vous entendez crier sur le boulevard : "Demandez la montre-bijou, avec le portrait de Mme Boucicaut ! La montre et la chaîne, dix centimes !" Car ce sont des camelots qui font "culbuter" un stock de montres dites du "Jubilé", lesquelles nous sont revenues d'Angleterre avec le portrait de la Reine Victoria.
Un badaud.

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